THÉRÈSE EST UNE FILLE DE LA CAMPAGNE, QUI NE S'EST PAS MARIÉE, QUI VIT AVEC SA SOEUR SOURDE, QUI A REÇU EN HÉRITAGE UN MONDE QUI N'EXISTE PLUS. PRESQUE PLUS. ELLE EST À ELLE SEULE UNE ZONE NATURELLE QU'ELLE COMPTE BIEN DÉFENDRE.
Thérèse vous reçoit chez elle, vous propose une chicorée, du lait de ses chèvres, une biscotte.
Thérèse est sympathique. Mais…
Elle a des problèmes avec ses voisins. C'est de famille. Dans sa famille, on ne s'est jamais entendus avec les voisins. Du coup, elle pense à construire un mur. Dans sa cour. Et si la guerre commence, alors elle aimerait mieux que vous soyez de son côté à elle. C'est normal, puisque c'est son côté qui est le bon. C'est pour ça qu'elle vous a invités.
« La nuit, sur le coup de 3h, je me relève, je vais sur leur chantier, je pisse un coup, et je ramène un moellon.
Un moellon à la fois, ils voient pas la différence. 20 cm de haut, 50 cm de large par parpaing, ça me fera un mur de la hauteur de mon coude quand je lève le bras.
Je compte sur vous, si on s'organise bien, pour monter le mur en vingt minutes. »
Jusqu'où peut mener l'enfermement sur soi ? « À force de se refermer sur soi, on devient dur comme un petit caillou sans fenêtre », affirme Thérèse, qui parle d'expérience. « Il paraît que moins on est sorti de chez soi, plus on est méchant. Mais on peut sortir sans aller loin ! »
Avoir peur de l'autre, de l'étranger, cela a des répercussions jusque dans sa vie la plus intime. Alors à tous les degrés Thérèse a imaginé des protections, des protections bricolées, des protections magiques, des zones de lumières et d'ombres. Elle est à la fois art brut et zone naturelle à défendre. Elle prend les armes, même si ses armes sont dérisoires.
Avec fantaisie et humour, le spectacle tourne autour de qu'est-ce que c'est être "chez soi", et où commence le territoire de l'étranger. Le délicat curseur entre se protéger et s'ouvrir à l'autre. Pour Thérèse, dont l'univers est très étroit, l'étranger commence avec les voisins de l'autre côté de la cour.
« Chez Thérèse » est le projet tout neuf de Laure Bonnet. Fidèle au principe du seul(e)-en-scène, le personnage s'adresse au public et fonctionne sur la force de la parole. Spectacle plein d'humour, parfois noir, mais aussi décalé et poétique, le personnage de Thérèse est né lors d'un atelier avec l'auteur et humoriste François Rollin.
Cristallisant à la fois les rencontres de personnes âgées en milieu rural que Laure Bonnet a menées pour ses spectacles « À la vie ! » et « Airs de famille », ses souvenirs d'enfance dans un hameau isolé, et son répertoire de prédilection en tant que comédienne (un personnage énergique, doté d'un « petit grain »), Thérèse a grandi. En s'ajoutant l'aide d'un co-auteur, Pascal Siméon, et sous le regard bienveillant d'Arnaud Frémont, l'univers et l'humour se sont encore déployés.
EXTRAIT
« Moins les gens ont bougé de chez eux dans leur vie, plus ils sont méchant. » Mais on peut bouger sans aller loin !
Moi, je suis quand même sortie un peu de chez moi. Je suis allée aux bals, et puis aux loto, aux foires.
La foire.
C'est là que j'ai connu mon premier homme. À la foire du 14 juillet. Un bonimenteur. Ah ça, je ne sais pas si il mentait, mais ça, les bonimenteurs, c'est des hommes qui ont tout : la prestance, la parole, l'audace, la moustache. Il faisait une démonstration de mandoline. La mandoline pour les légumes évidemment, pas la mandoline pour la musique, mais c'était quand même un signe.
Je suis restée bouche-bée devant lui pendant toute sa démonstration et un tour de plus, tant et si bien qu'il a fini par me remarquer avec ma bouche ouverte. Un moment qu'il n'avait plus de client, il m'a mis la main au cul pour me réveiller en me disant : « Alors poupée, ça te plaît ? ». Poupée ! Personne ne m'avait jamais dit une chose aussi gentille ! Alors je lui ai souri et je lui ai répondu: « Ça m'en bouche un coin ».
Et lui, audacieux comme un maquignon, il me demande : « Ça te dit qu'on s'amuse un peu tous les deux dans ma camionnette, après la foire ? » Et là, je sens mes jambes qui flageolent, je ne me reconnais plus, et je lui réponds :
« Oui, mais alors tout de suite, parce qu'après la foire j'ai peur de me dégonfler.».
Ah il était gentil ! Et plaisantin ! En voilà un qui savait causer ! Il a causé tout le temps qu'on était ensemble.
Il avait pas bien serré son frein à main mais on s'en est même pas rendus compte. Pourtant, la fourgonnette a glissé doucement jusqu'à s'arrêter contre un réverbère. Le réverbère a plié, comme une paille. Il a plié son voisin, et ainsi de suite comme par jeu de dominos, tous les réverbères de l'avenue Charles de Gaule se sont pliés jusqu'au stade Leroy Merlin ainsi nommé d'après son sponsor, pour fâcher personne.
Le dernier réverbère de la file s'est écrasé au sol, il a provoqué la mise à feu des fusées du 14 juillet qui étaient déjà en place. On a eu un beau feu d'artifice à 11h du matin, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la camionnette.
Après mon bonimenteur a filé, avant que les gendarmes aient l'idée de remonter le fil électrique.
J'en garde un très bon souvenir. Il m'a offert une mandoline. Je m'en sers encore, les jours de fête, pour faire des jolies présentation, et j'entends la musique du ciel.
Crédit photo : Laure SORNIQUE
Contact :
Laure Bonnet
06 87 39 33 34
laurebonnet@sfr.fr
Compagnie Les Bienveillantes
Siège social : Centre Socioculturel de la Blaiserie Rue des frères Montgolfier 86000 Poitiers
lesbienveillantes86@gmail.com